Retrouvailles au bord du fleuve Alima

LES PROFESSEURS THEOPHILE OBENGA, DIRECTEUR GENERAL HONORAIRE DU CICIBA, ET MANDA TCHEBWA SE SONT RENCONTRES A OYO.

Vu événement dans un évènement : les retrouvailles des deux chercheurs bantu et de surcroit autour d’un évènement inédit : le colloque international sur le Kiébe-Kiébe N’Gol’Odoua, organisé à Oyo, en terre Mbosi du Congo.

 10 mars 2017. Au lendemain de l’inauguration du Musée Kiébe-Kiébe N’Gol’Odua, près des berges du fleuve Alima, à quelques encablures de la ville de Oyo (Congo-Brazzaville), pour clore en apothéose cet évènement de haute portée culturelle, un colloque a réuni des scientifiques venus de plusieurs horizons dans la salle de conférences du tout nouveau Musée.

Philosophes, historiens, anthropologues, égyptologue, chercheurs interdisciplinaires ont échangé sur autour d’une double thématique : « Les différentes formes d’expression du Kiébé-Kiébé » (Professeur NDINGA-MBO), et « Anthropologie Sociale et culturelle du Kiébé-Kiébé » (Professeur Yvon Norbert GAMBEG).

A L’AUBE DE L’ANTHROPOLOGIE CULTURELLE

Dans son propos, le professeur Abraham Constant NDINGA-MBO, Historien et anthropologue de carrière à l’Université Marien NGOUABI de Brazzaville, a articulé son exposé autour de trois points majeurs :

  1. L’historique de l’implantation du peuple mbosi (vraisemblablement au début du XVIIe siècle) et la structuration de l’espace social dans la Cuvette à partir de ses deux kami fondateurs Mwene Okemba et Mwene Mbouma, auxquels ont succédé Mwene Ndinga et ses fils (Mbosi et Koyo) ;
  2. Le foyer d’irradiation de la danse-mystique Kiébé-Kiébé, en pays Mbosi ngae. A ce dernier sujet, le professeur Ndinga-Mbo a présenté l’organisation hiérarchique du kiébé-kiébé et ses acteurs principaux, en l’occurrence : Yombi, le grand maître du « Kinda », le « bois sacré » ; Okamba, le sculpteur des figurines, « ahuya » ; Tswa-bondzi, les danseurs-maîtres initiés enveloppés sous le « buasi », masque intégral en tissu de raphia ; Ndumbè, le guide du danseur masqué et les chanteurs-choristes entourés d’un orchestre d’instrumentistes en verve (tambours, gongs, cor).
  3. Les circonstances de la danse. Le Kiébé-kiébé se décline ici, tour à tour, comme une compétition inter-village, animation funéraire, célébration de l’ancêtre mythique, ihuya la ndjo (un serpent sacré) dont le geste esthétique de la figurine mime les contorsions rampantes, divertissement public, rite des jumeaux, okiera, etc.

Pour le professeur Ndinga Mbo, une des figurines classiques du kyebe-kybe de la Cuvette Centrale du Congo est celle qui incarne la beauté de la femme mbasi : « Sa plastique est singulièrement apparentée à celle des sculptures bamoun du Cameroun, ainsi qu’à celle des sculptures de la côte de Guinée. Elle semble représenter une forme réinventée de l’art Yoruba du Nigéria (ifé) ou édo de l’ancien royaume du Bénin, qui a longtemps rayonné sur l’Afrique de l’Ouest et sur une grande partie de l’Afrique Centrale. »

Il en est de même de cette tête de femme en deuil que le Kiébé-Kiébé figure dans certains exploits scéniques, et qui s’exprime par une coiffure particulière, « cette coiffure est la partie la plus soignée de cette sculpture. Elle est ramassée en chignon, formée de larges tresses soigneusement sculptées», a indiqué l’orateur.

Pour l’historien qui étudie le kyebe-kyebe, en tant que fait supra-structurel, l’intérêt de cette recension est « d’avoir fait percevoir que le Congo des villages, le Congo profond, (donc le Congo bantu), détient de nombreuses formes d’expressions susceptibles de mener à la connaissance historique », a indiqué en substance le professeur NDINGA MBO. Le Kiébé-Kiébé est de cet ordre-là.

ENTRE HISTOIRE ET ANTHROPOLOGIE

 

Comme objet de l’anthropologie sociale, le professeur Yvon Norbert GAMBEG a, pour sa part, insisté sur le, code éthique à fond sacré tel qu’il est à l’œuvre dans cette culture immatérielle qu’est le Kiébe-Kiébé autant que l’utilité de l’initiation et de la discipline qui implique l’exercice de cet art au sein de la confrérie.

S’agissant justement de l’éthique, l’orateur insiste sur le fait que tout concorder « à la régulation de la vie morale, sociopolitique des individus et de la collectivité par la formation des hommes et leur grandeur ouverture sur le sacré et l’esprit de responsabilité ». Le Kiébé-Kiébé est donc l’école par excellence de la loyauté aux préceptes de la confrérie, de l’humanité et de l’honnêteté, perçue à l’image de la « timocratie » athénienne et son sens de l’honneur, a renchéri le professeur philosophe LEFOBA. D’où l’importance du « Ekouerembae » (le propagateur des lois) et du « Ebarambae » (le défenseur attitré des lois). Deux pôles de régulation de la gouvernance de la société à qui revient la charge d’encadrer l’exercice de toutes ces valeurs typiques à la société initiatique mbosi/koyo.

L’orateur a terminé son exposé par une série de recommandations susceptibles de contribuer à la protection et la promotion de cet héritage sacré des peuples Ngala (Ambosi, Akoyo) et Téké (Atee à Alima).

Au-delà des activités muséales, l’orateur préconise la mise en place d’une médiathèque suffisamment fournie consacrée à la culture de la région. De même, il encourage la formation et la recherches tant du personnel de l’Institution muséale que des celle des chercheurs professionnels. Opérations qui interviendraient en complément de l’articulation des actions de coopération et des échanges nationaux et internationaux, ainsi que de l’organisation périodique d’un grand festival international du Kiébé-Kiébé.

Saisissant l’opportunité, le professeur Manda Tchebwa, l’actuel Directeur Général du CICIBA, a offert la disponibilité du CICIBA a signer, dès que possible, le tout premier accord de coopération avec ce nouveau Musée dans le sens souhaité par le Colloque.

DES RETROUVAILLES HEUREUSES

 

Témoin et contributeur essentiel de l’évènement, le Professeur Théophile OBENGA, écrivain égyptologue, historien, anthropologue, esthéticien et ancien Directeur Général du CICIBA, a pris la parole en dernier.

Dans une brillante synthèse, en vrai connaisseur de Kiébé-Kiébé, il a indiqué que cet héritage immatériel venu du fond des âges, est tout à la fois « feu, lumière, soleil, énergie, pour aider l’homme au déchiffrement des énigmes de l’univers. Par sa grande et puissante symbolique, le Kiébé-Kiébé est une souveraine ambition humaine capable d’apprivoiser le monde et de donner toujours à la vie humaine, un sens de transcendance ».

Pour autant, dans la complexité de toutes ses dimensions étiologiques, il reste toujours à retrouver la vraie origine du Kiébé-Kiébé. Est-ce encore une procréation découlant du serpent mythique, ibiri ? Vipère cracheur de feu céleste que reproduit souvent ce spectacle incroyablement magique. Le champ de la recherche mérite d’être défriché davantage, a-t-il recommandé, pour qu’un jour un coin du voile sur cette origine mythique de ce spectacle cathartique se dévoile. Sans avoir, bien entendu, à violer le Secret de « kinda ». Ce secret intangible qui est si bien gardé depuis des siècles.

Assis côte à côte au premier rang, le Professeur Théophile Obenga, comme dans un passage des témoins, a régulièrement échangé avec son jeune frère et héritier du « trône » du CICIBA, le Professeur Manda Tchebwa. Ensemble, ils ont communié aux sources » bantu, pour que vivent à jamais le CICIBA et le Musée Kiébé-Kiébé N’Gol’Odoua. Encore que le mystère du Kiébé-Kiébé n’en est pas encore totalement dévoilé. Ça ne sera sûrement pas pour demain.

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