E-MUNTU

Magazine scientifique et culturel du CICIBA

Editorial

Me revoici !

DSC_2135[1]L’Afrique bantu a un visage, le CICIBA. Elle a une âme, la polyphonie culturelle bantu. Elle a une vision : célébrer l’être bantu dans tout ce qui fonde son essence spécifique, son être au monde, sa fierté intrinsèque et son rapport à l’histoire, aux mémoires, aux héritages pluriels.Ce qui incite à une franche solidarité bantu, en accord avec la volonté d’intégration régionale, ouverte au reste du monde par l’hospitalité.

Il appert que c’est en articulant une solidarité suffisamment déterminée, autour de la « bantuistique » et de la « bantuité », que des peuples qui partagent la sève hadale de l’identité et les valeurs communes peuvent aisément, dans une entreprise lucide d’anamnèse, affirmer leur éminence, leur dignité et leur noblesse.

Cette vision est partagée, depuis 1983, année de la création du CICIBA par ses pères fondateurs autour de l’exaltante initiative du Président Omar Bongo Ondimba, d’heureuse mémoire. Lui qui avait rêvé d’une Afrique bantu solidaire et commensale, se retrouve doublement honoré aujourd’hui : d’abord, parce que son œuvre, véritable pôle africain de coopération documentaire, scientifique et culturelle, lui a survécu ; ensuite, parce que la pertinence de sa vision est derechef partagée quasi unanimement par tous ses pairs de la zone bantu, voire bien au-delà du cénacle matriciel.

Depuis, des interrogations nouvelles ont surgi. Elles induisent des regards et des appréhensions les mieux adaptés qui soient, à la mesure des sciences interactives usuellement convoquées au CICIBA, qui parlent tant à nous-mêmes, d’abord, qu’aux autres, sur la base de nos aspirations les plus intimes.

Alain Peyrefitte avait vu juste : chaque peuple est « un produit de son propre passé, jusque dans ses velléités de rompre avec lui pour instaurer un ordre nouveau (…) ». Il s’agit, me semble-t-il, de cet ordre nouveau qui, dans un rappel lucide des enjeux de notre temps, ne gagnerait au change que dans sa propension à s’ouvrir fraternellement aux autres, drapé de ses meilleures références endogènes. En l’occurrence, bantu. De la sorte, il est donné de penser que c’est au prix d’une intersubjectivité foncière et conviviale qu’il nous sera donné de faire face à la menace frontale du « choc des civilisations » à l’horizon, elle qui est quasiment à l’œuvre dans un monde marqué de plus en plus par des velléités de l’unilatéralisme.

Il reste alors aux sciences sociales et connexes d’explorer ces nouveaux chemins, de se saisir d’objets épistémologiques, empiriques et mémoriels, pour mieux cerner le processus de longue durée qui (en engageantleur longue marchesur les chemins des migrations — sous le poids des rencontres, leur imprévisibilité et celui des métissages subséquents) a permis aux peuples bantu de traverser les temps, armés de leurs imaginaires divers. Cela, dès la protohistoire sinon la paléo-histoire jusqu’à l’émergence des idiosyncrasies nouvelles, découlant, elles, des effets combinés des diglossies diverses (religieuse, linguistique, imaginaire…), voire des cosmogénèses brouillées par les éléments du temps.

Dans la mesure où le thème imbriqué des rencontres d’imaginaires, de valeurs et de l’impérieuse nécessité de leur préservation occupe le cœur de la recherche du CICIBA, ce parti pris trouve ici matière à interdisciplinarité. Non pas comme un lourd et vaste palimpseste indéchiffrable, mais plutôt comme mode épistémique à vocation « œcuménique » susceptible de mettre en dialogue toutes les disciplines scientifiques concernées, fût-ce dans une approche transversale, par l’étude des peuples bantu en lien, il va sans dire, avec les objectifs de notre Centre.

Au-delà de cette stratégie épistémique interdisciplinaire, Théophile Obenga (1985), notre éminent prédécesseur avait raison : « Les méthodes usuelles, à caractère parcellaire, fragmentaire, restrictif, relèvent de la monographie. Cela a son importance. Cependant, pour couvrir et saisir  le monde bantu dans son ensemble, aux plans humain et culturel, et en tout son espace géographique, c’est à la méthode comparative qu’il faut nécessairement recourir, pour faire apparaître les convergences et les différenciations culturelles au sein du monde bantu, comme les éléments humains et culturels compris géographiquement mais n’appartenant pas à la culture et aux civilisations bantu, qui ne sont pas seulement continentales mais aussi insulaires (Sao Tomé & Principe, Guinée Equatoriale, Comores)… Il faut, dans les études, des approches croisées, interdisciplinaires, comparatives, fondées sur des faits linguistiques, archéologiques, géographiques, historiques, anthropologiques, historiques, technologiques, littéraires, esthétiques, philosophiques, donc des faits de langue et de culture ».

A cela, il est nécessaire d’intégrer aussi les ressources de l’herméneutique, de la pharmacopée, de la toponymie, l’ethnonymie, l’anthropobiologie, l’onomastique, de l’écologie, l’anthroponymie, autres disciplines à vocation euristique si peu usitées, qui ont pourtant toute l’importance dans toute démarche de défrichement et de refondation de l’identité commune. Poursuivant cette orientation, notre ambition est de susciter des débats, de bousculer les torpeurs et de nous affranchir de la gueule de bois, surtout en cette période de crise de la pensée et de la recherche dans un domaine laissé en friche après l’heureuse et abondante moisson de nos éminents devanciers.

Nous sommes heureux de reprendre le flambeau de ce combat, pour la valorisation des civilisations bantu. Le magazine MUNTU reste donc, pour l’ensemble des peuples bantu de par le monde, le lieu par excellence de mutualisation des savoirs, avoirs et pouvoirs bantu d’hier et d’aujourd’hui. Il restera à les mettre, le moment venu, au service d’un développement durable et intégral (économique, social et culturel) de notre communauté de destin.

En revenant au devant de la scène, MUNTU entend assumer en toute responsabilité, adossé à une fierté renouvelée, la charge de médiateur et de véhicule de la vision des pères fondateurs du CICIBA dans l’accomplissement de leur exaltante ambition : diffuser et promouvoir les travaux de recherche sur la culture africaine en général, conformément à la « Charte Culturelle de l’Afrique » ; faire du CICIBA le lieu désiré de notre être au monde et de notre être avec ceux qui partagent notre être. De là, le CICIBA a depuis inscrit ses priorités autour de trois axes majeurs : banque de données, recherche scientifique, production scientifique dans les différents domaines relevant de ses missions.