Le CICIBA se prépare à célébrer avec éclat ses 40 ans

Le Centre International des Civilisations Bantu (CICIBA), qui regroupe 11 États, célèbre ses 40 ans d’âge en 2023. Son directeur général, le professeur Antoine Manda Tchebwa, s’exprime sur le parcours de cette institution, ses réalisations, ses ambitions, ses projets et les événements qui seront organisés pour marquer cet anniversaire.
Propos recueillis à Libreville par Arthur Malu-Malu.

Makanisi : Pouvez-vous nous présenter le CICIBA ?

Antoine Manda Tchebwa, directeur général du Ciciba
Antoine Manda Tchebwa : C’est une organisation internationale à vocation sous-régionale, qui se définit comme un foyer de recherche de niveau international. Elle a été imaginée à partir de l’année 1982 par le président Omar Bongo Ondimba du Gabon, dans le cadre de la promotion des valeurs, des traditions et des cultures de tous les bantus vivant en Afrique et ailleurs dans le monde. Le président Bongo d’auguste mémoire l’avait imaginé au départ comme une association nationale gabonaise, de droit gabonais. Il avait par la suite jugé utile de partager cette ambition avec ses pairs africains. C’est ainsi que le 8 janvier 1983, il crée ce qu’on appelle aujourd’hui le Centre International des Civilisations Bantu (CICIBA), en collaboration avec 23 pays africains qui s’étaient réunis à Libreville en ce temps-là et qui lui ont donné une charte fondatrice.

Cette organisation internationale travaille en fonction des objectifs assignés par ses pères fondateurs qui ne sont plus de ce monde. L’espace géographique physique de ces populations va de l’État de Benue, au Nigeria, jusqu’à Cape Town, en Afrique du Sud. On y inclut, bien entendu, des pays de l’Est et de l’Ouest, y compris les îles comme le Cap Vert, Sao Tome, les Comores, les Seychelles, Madagascar, etc. qui sont considérés comme étant également des espaces par où se sont développées une certaine civilisation et des langues bantu.

Quand on veut étudier l’évolution des bantus en Afrique, on part toujours des langues que les bantus parlaient

Comment peut-on définir les bantus ?

Le muntu (singulier de bantu) est l’être intime, l’élément intime qui est dans l’homme et qui est porteur de son identité profonde. Le muntu, c’est l’être africain qui réside dans des communautés africaines et qui est déterminé par un certain nombre de langues. D’après les recherches effectuées par nos linguistes et des spécialistes qui ont travaillé sur la question, ils affichent une certaine harmonie, une certaine unicité. Quand on veut étudier l’évolution des bantu en Afrique, on part toujours des langues que les bantu parlaient. Cela permet de déterminer toutes les migrations des bantus, qui sont apparus en Afrique il y a près de 5 000 ans, dans la région de Benue. Nos études prouvent que les foyers originels viendraient de là, mais il y a quand même un foyer proto originel qui serait l’Égypte pharaonique. C’est en cela que nous rejoignons tous les travaux effectués par des personnalités comme Cheick Anta Diop ou Théophile Obenga, deux grands spécialistes de cette discipline.

Lire aussi : Forêts du Bassin du Congo : préserver les identités culturelles. https://www.makanisi.org/forets-du-bassin-du-congo-preserver-les-identites-culturelles/

Le CICIBA n’est-il pas parti d’une idée d’exclusion, sachant que dans ces espaces, il y a aussi d’autres peuples. Les peuples autochtones, pour ne citer qu’eux, font également partie intégrante du paysage…

Il n’y a aucune idée d’exclusion. L’Africain doit s’identifier par rapport à lui-même. Et à l’intérieur de l’Afrique, nous avons plusieurs Afriques : l’Afrique berbère, les Afriques bantu, les Afriques mandingue, les Afriques insulaires, etc. L’Européen s’identifie par rapport à lui-même, ce n’est pas pour autant qu’il exclut l’Asiatique, par exemple. Donc c’est juste une manière de se présenter par rapport à son épicentre le plus rapproché.

Le CICIBA détient la plus grande banque de données sur les civilisations bantu, qui a été réalisée sous forme de microfiches. Elle contient un nombre incommensurable de recherches faites de par le monde par des chercheurs africains, européens et asiatiques

Quelles sont les grandes réalisations de cette institution ?

La plus grande réalisation du CICIBA est son existence. Les bantu existaient avant 1982, au moment où le président Omar Bongo envisage de créer cette plateforme culturelle. Le fait de l’avoir fondée a permis de renforcer la prise de conscience bantu. Les bantu se sont ainsi découvert, à travers une organisation scientifique, un certain nombre de richesses linguistiques, philosophiques, historiques, culturelles, etc.

Le CICIBA a l’avantage d’avoir permis d’étudier les bantu sous toutes les coutures possibles, sous tous les angles imaginables. Il détient la plus grande banque de données sur les civilisations bantu, qui a été réalisée sous forme de microfiches. Cette banque contient un nombre incommensurable de recherches faites de par le monde par des chercheurs africains, européens et asiatiques. Le CICIBA a signé un accord avec des universités sud-coréennes, qui sont même venues chez nous à Libreville.

Danseurs de rumba dans le Bar Dancing Faignond à Brazzaville (Congo) @Agnès Rodier
Des travaux sont en cours pour approfondir d’autres aspects des civilisations et cultures bantu. Nous avons érigé l’institution en un espace de coopération internationale entre l’Afrique et les diasporas africaines. L’ouverture vers les diasporas africaines a permis de découvrir aussi que les bantu sont disséminés un peu partout dans le monde, à travers malheureusement un phénomène triste : la fameuse traite négrière et l’esclavage, son corollaire, qui a fait déporter un certain nombre de sujets bantu qui sont aujourd’hui éparpillés pratiquement dans toutes les Amériques et dans les espaces asiatiques.

Nous avons mené des études pour retrouver les traces et les transformations subies par les civilisations bantu en situation de créolité. La thématique de la recherche ou la quête des racines des Afro descendants est dans l’air du temps. Nous avons eu l’occasion d’organiser une rencontre des personnes d’ascendance africaine à Libreville. D’ailleurs, c’était la première rencontre du genre sur le continent africain, qui nous a notamment permis de mettre ensemble des chercheurs afro descendants avec des chercheurs africains.

Nous pensons frapper un grand coup, en faisant éclater les événements sur toute l’année 2023, à Libreville et dans les autres pays membres, pour que nous puissions célébrer cet événement en syntonie

Quels sont les événements prévus pour le quarantième anniversaire du CICIBA qui sera célébré en 2023 ?

Pour nous, 40 ans, c’est l’âge de la maturité, qui mérite d’être célébré dans toute sa dimension. Le 8 janvier 2023 marque une date importante. Au lieu de nous cantonner à célébrer cette journée autour d’une activité scientifique ou culturelle, nous pensons frapper un grand coup, en faisant éclater les événements sur toute l’année, à Libreville et dans les autres pays membres, pour que nous puissions célébrer cet événement en syntonie. Nous pourrions avoir, par exemple, un colloque scientifique à Libreville, suivi d’animations culturelles. Nous envisageons des événements en Guinée équatoriale, le pays qui abrite la conférence des ministres en charge des affaires culturelles du CICIBA.

Lire aussi : La philosophie Ubuntu exprimée par des artistes plasticiens. https://www.makanisi.org/la-philosophie-ubuntu-exprimee-par-des-artistes-plasticiens/

Nous examinons la possibilité de tenir une cérémonie de consécration de certains artistes emblématiques du continent : le chanteur Jeannot Bombenga de Kinshasa, qui totalise 64 ans de carrière musicale ; un groupe comme les Bantous de la capitale du Congo-Brazzaville, qui a 63 ans de carrière ; un chanteur philosophe, guitariste, musicien comme Pierre Akendengué du Gabon, qui additionne 53 ans de carrière… Tout cela pourrait s’insérer dans le cadre d’un jubilé d’or organisé au Congo-Brazzaville. A Kinshasa, nous pourrions « monter » un événement autour de la rumba, qui vient d’être inscrite sur la liste du patrimoine de l’humanité. En Angola, nous pensons à des retrouvailles entre les bantu du Brésil et d’Angola, en tenant compte de leurs liens historiques. N’oublions pas que près de 75 % des Noirs qu’on trouve au Brésil aujourd’hui, les descendants actuels, proviennent de l’ancien royaume Kongo. Pourquoi ne réfléchirions-nous pas un festival de musique traditionnelle ?

De toute façon, il s’agit, pour nous, d’organiser, sur toute l’année, de janvier à décembre, des activités éclatées dans les différents pays membres. Nous allons, par ailleurs, demander à ceux qui connaissent bien le CICIBA de nous envoyer par écrit quelques témoignages ou quelques réflexions qu’ils auraient sur les civilisations bantu.

Groupe de musique kalindula dans un quartier populaire de Lubumbashi (RDC) @MDMM
Les États membres mettent la main à la poche, mais à des cadences qui ne permettent pas toujours de faire fonctionner l’institution de façon optimale. Heureusement qu’ils sont là, même si chacun intervient à son rythme, selon ses capacités

Quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face ?

Elles sont d’ordre financier. Les États membres mettent la main à la poche, mais à des cadences qui ne permettent pas toujours de faire fonctionner l’institution de façon optimale. Heureusement qu’ils sont là, même si chacun intervient à son rythme, selon ses capacités. Pour l’instant, nous avons un peu résolu la question parce que le pays du siège, le Gabon, a pris à cœur ses responsabilités. Il n’empêche, nous nous sentons, par moments, obligés de secouer un peu tel ou tel autre État en retard de cotisation. Le CICIBA n’est pas seul dans cette situation. Que ce soit à l’ONU, à l’Union africaine, à la SADEC ou à la CEEAC, la situation est analogue. J’entends quasiment le même son de cloche. Notre devoir est également de réveiller un peu les pays membres et de les pousser à s’acquitter de leurs obligations.

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Pour explorer d’autres pistes de financement, serait-il envisageable que le CICIBA se mette en rapport avec des philanthropes ou des fondations sensibles à la question bantu à travers le monde ?

Tout cela est prévu. Cette démarche est autorisée par les textes fondateurs de notre institution. De toutes ces choses nous allons parler lors des prochaines réunions des instances de l’institution. Des contacts ont été pris avec certains chefs d’État qui ont proposé des solutions alternatives, qui vont être discutées sous peu.

Nous avons ouvert un bureau de représentation du CICIBA à Sao Paulo, au Brésil, lequel fonctionne à merveille et couvre toute l’Amérique latine. Nous voudrions également nous ouvrir sur la Mésoamérique et sur l’Amérique du Nord.

Quels sont les projets que vous voulez voir se réaliser assez vite ?

Nous œuvrons en faveur de la consolidation des assises du CICIBA dans les 23 pays fondateurs. Cependant, certains d’entre eux n’ont pas encore déposé les instruments de ratification, alors que c’est l’une des conditions pour pouvoir bénéficier du statut de pays membre effectif. Pour l’instant, 11 pays se sont conformés à cette obligation. Notre premier objectif est de frapper à la porte des pays en retard de ratification, afin qu’ils puissent tous adhérer de manière effective. Nous avons ouvert un bureau de représentation du CICIBA à Sao Paulo au Brésil, qui fonctionne à merveille et couvre toute l’Amérique latine. Nous voudrions également nous ouvrir sur la Mésoamérique et sur l’Amérique du Nord. Nous avons déjà quelques représentants aux États-Unis, mais aussi au Canada et ailleurs, ainsi que dans les îles des Caraïbes où nous avons des partenaires qui travaillent avec nous de manière informelle. Nous allons néanmoins tout officialiser en janvier 2023. Notre ambition est d’installer le CICIBA dans les prochaines années partout où il a l’obligation de diffuser et de promouvoir l’identité ainsi que les cultures bantu.

Où voyez-vous le CICIBA dans 10 ans ?

Le CICIBA sera là, tant que les bantus seront là. Je suis très confiant. Quand je vois la direction que nous lui avons donnée depuis quelques années et l’enthousiasme que suscitent nos différentes publications et nos projets, je sens que nous sommes engagés dans une nouvelle dynamique qui est porteuse.

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