Héritage scientifique inédit

LE PROFESSEUR ANGE-FRANÇOIS RATANGA-ATOZ LAISSE ENTRE LES MAINS DU CICIBA DEUX TOMES DE L’HISTOIRE GÉNÉRALE DU GABON

Il en parlait tout le temps. Avec passion. Avec amour. Et surtout avec une détermination inébranlable : « Le Gabon mérite un livre à la mesure du poids de son histoire et ses héros fondateurs et civilisateurs ». Jusqu’à son dernier souffle, il y tenait absolument. La preuve ? Une semaine avant son décès, de passage au CICIBA, il s’est résolu à confier, en versions physique et électronique, les tapuscrits de sa dernière livraison scientifique au professeur Antoine Manda Tchebwa, Directeur général du CICIBA, comme dans un geste testimonial !

Puis vint ce jour-là, un certain lundi 2 juillet 2018. La nouvelle, assortie d’un effet de foudre, est tombée. Ange-François Ratanga-Atoz a rendu l’âme au Très-Haut. Il y a des jours comme ceux-là où croire à une telle information appelle un doute. Et pourtant, c’était bien vrai.

Pris d’un malaise, le plus illustre des historiens gabonais était seul face à son destin. Lui qui, jusqu’aux derniers moments, croyait encore en ses forces, dut se rendre à l’évidence. L’ange de la mort avait investi son dernier carré. Et c’est une baisse de tension qui l’emporta. Le tribun, l’homme au verbe ampoulé, s’en va, comme il est venu, sur les ailes de la science historique qu’il aimait tant partager avec les autres.

L’étonnant c’est que, comme guidé par une intuition abyssale, il a pris soin de travailler depuis plus d’un an avec le CICIBA. D’abord invité au colloque international « Afrique, ma terre première », dans le cadre de la première édition de la Semaine de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, il y a laissé la plus forte des impressions. Jonglant avec son franc parler, du haut de son magister, il aura été une des découvertes de ces assises. Il a fait aimer le Gabon. Il a su en faire un lieu d’une historisation complexe et digne d’être partagée avec un plus grand nombre. Dans la plus haute dignité d’un peuple qui a su bâtir ses assises historiques sur la base d’une geste héroïque à multiples facettes.

Pour « l’homme au cigare' », de surcroît passeur de mémoire, « l’histoire n’est histoire que quand elle est au service de la vérité et sert la vérité. La vérité c’est que la primauté de Libreville sur Brazzaville dans la  trame de la primogéniture existentielle est indubitable. Je ne veux plus désormais entendre parler d’autre chose », avait-il décrété avec autorité du haut de la tribune du Colloque, les yeux fixés droits dans ceux de ses collègues. Ça c’était l’homme, dans sa dimension d’épistémologue exigeant.

Comme l’indique R. Misère-Kouka, « A la manière de ses confrères historiens Théophile Obenga, Dominiqiue Ngoie Ngalla du Congo-Brazzaville, il sait perforer l’écorce des mots, pour y extraire leur valeur nodale, celle qui dit leur moelle substantielle pour crier nos maux, par le biais des mots bien choisis ».

Ensuite, aussitôt les invités de la Décennie partis, il a noué un lien profond avec le CICIBA. Une fois tous les deux mois, il y venait partager sa science, soit avec le Directeur général, soit avec le Directeur de la Recherche. De ces rencontres nourries d’une haute scientificité est né un projet ambitieux : l’édition par le CICIBA de l’Histoire générale du Gabon.

« Je voudrais confier enfin, à mon pays, les repères les plus exacts, les plus crédibles  de sa marche glorieuse à travers temps et espaces. Le Gabon a certes été conté et ressassé de maintes façons. Dont acte. Mais mon histoire du Gabon, je la veux comme un sémaphore, qui balise hier, aujourd’hui et demain, en intégrant tous les aspects qui fondent mon peuple, les peuples de mon pays. On y découvrira les deux visages du Gabon : le Gabon temporel et le Gabon spirituel. Le CICIBA serait-il capable de m’accompagner dans cette aventure ? »

         Ce à quoi le Directeur général, appuyé en cela par l’équipe du Centre, accéda sans tergiverser. Inscrite à l’ordre du jour d’une des réunions du Conseil de direction, la proposition a été formellement agréée. Dans la foulée, l’auteur de l’Histoire générale du Gabon, a accéléré la mise en page de son ouvrage. Résultat ? Il en arrive, tout à sa propre surprise, à 1300 pages, assorties d’illustrations inédites. Ensemble, avec le CICIBA, le Professeur Atoz vient à dégager deux tomes de 600 pages chacun.

C’est cette œuvre monumentale que le professeur émérite Ange-François Ratanga-Atoz laisse à la postérité et qui mérite d’être mise à la disposition du Gabon et des chercheurs du monde entier. Écrit d’une plume magistrale, ce livre est à la hauteur de celui qui disait que « l’historien est comme un conteur de Mvett au corps de garde ». Lui-même  »Grand maître Afra » n’était-il pas « le livre d’histoire du Gabon ? »

         L’on comprend dès lors le sens de cet aveu ultime de ses derniers étudiants tout éplorés devant ce corps inerte qui ne leur dira plus un mot de plus sur l’histoire de leur pays : « A vous professeur érudit et savant de notre panthéon intellectuel et scientifique, vos disciples que nous sommes, ressentent déjà le vide que votre départ crée ».

         Une page de l’histoire du Gabon se referme ainsi sur tant de déploration.

Pour sûr, le Grand maître de l’historiographie s’en va avec un sentiment du devoir accompli. De lui, il importe de garder en mémoire les cinq facettes essentielles, qu’a mises en lumière, l’écrivain-poète Raphaël Misère-Kouka, son assistant littéraire : a) Atoz, un érudit hors normes ; b) Atoz, l’historien et le politologue ; c) Atoz, l’écrivain inédit ; d) Atoz, le philanthrope ; e) Atoz, le citoyen universel. Cinq dimensions qui en font l’incarnation de la Tribune officielle de l’histoire de son pays.

Repères bibliographiques

Né à Port-Gentil en 1943, Ange-François Ratanga-Atoz fut titulaire d’une thèse d’État ès Lettres et Sciences humaines à Lille (2001). Professeur à l’UOB de 1973 à 2014. Directeur général du Centre universitaire des sciences politiques et du développement (CUSPOD) de 1982 à 1987. Co-fondateur de la première université (privée) polytechnique de Kougouleu (UPK) en 2001. Conseiller honoraire du Premier ministre Léon Mebiame (1987 à 1990). Conseiller spécial honoraire du Président Omar Bongo Ondimba de 1990 à 2009. Honoré par le  »Grand Prix du Président de la République pour l’ensemble de son œuvre dont :

– Les Résistances gabonaises à l’impérialisme 1870-1914 (1973)

– El Hadj Omar Bongo. Le Gabon (1984)

– Histoire du Gabon. Des migrations historiques de la République XVe – XXe siècles (1985)

– Les peuples du Gabon occidental (1999)

– Le siècle de Léon Mba (2002)

– Noirs et Blancs du Gabon (2009)

– L’Histoire générale du Gabon (2018, à paraître).

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