En marge de l’Assemblée générale du CPATC

LE CICIBA et le CPATC SIGNENT SOLENNELLEMENT UN ACCORD DE COOPERATION

Devant les Têtes couronnées d’Afrique, réunies en Assemblée Générale à Abidjan, du 10 au 12 septembre 2018, les représentants officiels de ces deux organisations ont signé un protocole d’Accord de coopération, scientifique et culturelle, destiné à encadrer la mise en œuvre des projets communs pour les cinq ans à venir. Témoin de cet Accord, le professeur Charles Binam Bikoï, Secrétaire Exécutif du CERDOTOLA, institution sœur basée à Yaoundé.

Au terme de cet événement le professeur Antoine Manda Tchebwa, Directeur général du CICIBA, s’est confié à MUNTU Newsletter :

Muntu : Quel est le sens à donner à cette signature d’accord ?

M.T. : D’abord, je dirais pour asserter que le CICIBA est redevenu crédible, et qu’il inspire à nouveau confiance à tous ses partenaires, étatiques et institutionnels. Ensuite, il sied de noter que l’implication du CICIBA dans les activités de la chefferie traditionnelle est une réponse logique à un devoir de (re)ancrage de notre institution dans ce qui fonde sa légitimité : le domaine des traditions et civilisations africaines. Notre travail étant celui de passeur de mémoire et de refondateur d’identités perdues ou méconnues, notre place est aux côtés des « sachants » de la tradition. Pour moi, la proximité avec les détenteurs légitimes du pouvoir et du savoir ancien est atout à ne pas occulter.

MUNTU : quels sont les grands axes de votre nouvelle coopération avec le CPATC ?

Dans les grandes lignes, je dirai : mutualisation d’informations sur les enjeux du pouvoir traditionnel en Afrique et dans la sixième Région d’Afrique ; co-organisation d’événements culturels majeurs à vocation fédératrice ; recherches et publications dans le domaine qui nous est commun ; assistance dans l’élaboration des travaux scientifiques et techniques (colloques, séminaires, festivals, etc.) ; et dans tout autre champ où les intérêts des uns et des autres sont engagés.

MUNTU : Quelle place accordez-vous à l’Autorité traditionnelle dans la refondation de l’Afrique ?

M.T. : Pour moi, il n’y a pas de doute possible : refonder notre continent passe forcément par la reprise en main de notre destin commun à partir de ceux-là mêmes, que vous êtes, qui incarnent le passé, le présent et l’avenir de l’Afrique de nos désirs, l’Afrique telle que nous l’ont léguée nos ancêtres dans la candeur de ses us, coutumes et traditions, c’est-à-dire une Afrique auréolée du sens moral qui était le sien, de l’immanence de ses cosmogonies et ses ambitions de grandeur.

Pour ma part, je reste convaincu que c’est par l’autorité traditionnelle que se réveillera la conscience de l’Africain, c’est par elle que se fortifiera son esprit, tout en éveillant ses conceptions morales et éthiques, son intelligence créative adossées aux immenses possibilités qu’induit l’unité de sa jeunesse et de ses forces inventives.

Nous sommes du côté de ceux qui, comme les chefs traditionnels aujourd’hui, soutiennent le développement de l’Afrique par le prisme d’une gouvernance morale reposant sur une force de transformation qualitative de notre mentalité et de la gouvernementalité contemporaine.

Nous sommes du côté de ceux qui pensent que sans la paix, sans la concorde générale et permanente, il n’est point de développement possible.

Nous sommes du côté de ceux qui pensent que rebâtir l’Afrique sur la base de l’intelligence endo-génique n’est pas un leurre. Il n’est qu’à réintégrer les héritages du passé pour voir combien nos vénérés devanciers avaient suffisamment sur la question et balisé notre voie du destin. La culture ancestrale est bien un legs commun qui nous permet de nous sentir essentiel et utile par rapport au monde. Repenser notre devenir autrement qu’en puisant dans ce riche réservoir de l’imaginaire atemporel, qu’est l’ensemble des héritages ancestraux, ne serait qu’un rétrécissement de notre conscience d’être plus fort et développé.

Seul le recours aux ressources d’une culture endogène est à même de nous aider à nous déterminer par rapport aux défis qui nous attendent sur la route du développement et de la paix.

Autant qu’il m’en souvienne, c’est l’UNESCO qui, tenant compte de la singularité des uns et des autres (dans une approche consensuelle et réaliste) semble avoir trouvé la définition la plus cohérente en rapport avec la manière de percevoir nos cultures.

Dans sa Déclaration universelle sur la diversité culturelle, l’UNESCO appréhende la culture comme « l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social… Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances » (2002).

A ces valeurs, ajoutons l’alimentation, les langues, la capacité de symbolisation, les technologies, l’artisanat, les savoirs endogènes, les pratiques rituelles, cultuelles, etc. Et plus important, l’organisation autocentrée de la gestion du pouvoir, donc de la chefferie dans nos espaces du vivre-ensemble.

C’est dans ces domaines que l’Afrique a su tisser l’unité du référentiel social et des modes d’être et d’agir autour des systèmes des royautés et des chefferies majorés d’une originalité admirable. Cela en s’efforçant d’installer l’humain et le commun dans un dualisme intime. Dualisme existentiel où « l’être social » qui est au cœur de ce système, saisi ici à partir d’une certaine perception existentielle de type androgyne (au sens des anthropologues), agit tour à tour comme « être singulier » (au sens nominaliste du terme) lorsque il opère à titre personnel, et comme « être collectif » lorsque il agit au milieu des siens en tant qu’acteur et agent (trans)porteur (parmi tant d’autres) d’une identité commune articulée à l’ordonnance de l’âme du corps social.

M.T. : Nous avons donc beaucoup à apprendre de vous et des systèmes de royauté que vous incarnez. Système qui, au demeurant, est de ce point de vue le lieu de la préservation et de la continuité de tout cadastre culturel portant l’exister intime, historique et commun. La culture, n’est-elle pas, en réalité, le milieu humain lui-même ? Autrement dit : « tout ce qui, par-delà l’accomplissement des fonctions biologiques, donne à la vie et à l’activité humaine forme, sens et contenu », selon les mots du maître de sociologie Emile Benveniste.

Muntu : Quel rôle peut jouer effectivement le Conseil Panafricain des  Autorités traditionnelles dans cette nouvelle dynamique qui s’enclenche ?

M.T. : Le CICIBA salue, avant tout, l’avènement du conseil Panafricain des Autorités traditionnelles et Coutumières en ce qu’il vient combler un déficit en ce domaine qui est encore – et c’est bien dommage – peu familier à la jeunesse « Facebook » et « Android ». Elle qui semble être plus attentive aux artifices de la modernité sans frontière, et davantage distante de la dynamique des enjeux et défis endo-culturels de son espace matriciel.

Autant dire que la mobilisation, aujourd’hui, de nos chefs autour de ce qui fonde leur légitimité atemporelle est un signal fort à l’endroit de ceux qui, sous le prétexte d’un certain courant de modernisme, ont pensé qu’il fallait brûler les chefferies traditionnelles, au point parfois de les réduire à une perception purement folklorique, décorative, contemplative. Perception qui, à la limite, aurait tendance à confiner nos respectables et honorables rois, ainsi toutes leurs dépendances traditionnelles, uniquement dans les frontières physiques issues de la balkanisation post-Berlin et ses chimériques remodelages d’aires civilisationnelles, redistribuées hélas à l’aune des seules ambitions impérialistes des maîtres à penser du monde des années coloniales.

Mon chef traditionnel à moi n’est pas de cette essence-là. Il est une Majesté qui, à un haut niveau de la hiérarchie des hommes d’honneur, n’a pas volé le bénéfice du caractère altaïque et hadal, à la fois, de sa majesté car héritée d’une longue lignée consanguine des ancêtres.

Briser la chefferie revient donc à briser la dynamique du lignage, c’est en un sens, « déchirer une natte communautaire », elle qui illustre si heureusement le symbole de la paix, l’affirmation de la conscience du corps social, la célébration de l’unité et des liens de sang au sein d’une société. Il est prescrit au cœur de la tradition que le chef est le chef des hommes et des armées, partant garant du développement et de la paix collective. D’où son droit singulier à une tutelle à la fois temporelle (par la vertu du sang des aïeux) et spirituelle (puisque arrimée à une certaine fonction sacerdotale). Cela, entre fonction et action, entre dignité et intégrité, entre honneur et grandeur, entre vaillance et éminence.

L’espace régalien est, on le voit ici, le lieu de l’attestation et de l’affirmation de l’identité et de l’éminence d’un peuple, doublé d’un centre du pouvoir. C’est à cet égard qu’il se doit d’être assumé avec doigté et justice au nom de la collectivité, destiné à impulser les valeurs de la cohésion et de la paix ainsi que le développement et la marche des peuples.

Le CICIBA voudrait, aux côtés du CERDOTOLA, rassurer le Conseil Panafricain des Autorités traditionnelles et coutumières de son entière disponibilité à contribuer à sa mise en orbite et à sa stabilisation. Car pour nous, le domaine de la chefferie traditionnelle et coutumière est clairement un fait de culture. Culture de la gouvernance et de la gestion des destins humains par la vertu de la sagesse africaine. Qui, au sein de nos espaces de convivialité, relève des stratégies globales dans les grands enjeux du pouvoir en Afrique, dans lequel il sied d’intégrer, à sa juste valeur, ce chaînon manquant qu’est la chefferie traditionnelle.

Ainsi décrite, la situation de la chefferie traditionnelle n’a pas à s’enfermer dans un passé clos, dans une citadelle nostalgique.  Sa place est aux côtés du peuple. Sa place est dans le peuple profond. Sa place est avec le peuple.

Loin d’abdiquer sa sacralité, pour sûr le milieu traditionnel permet à l’être de cheminer davantage vers l’humain, à l’homme du passé d’actualiser l’homme d’aujourd’hui…

MUNTU : Quels sont les défis majeurs qui s’imposent à l’agenda des chefs en termes de développement du milieu rural ?

M.T. : Mon premier constat est le suivant : Au-delà de l’obscurité qui couvre encore nombre de nos villages privés de courant électrique in illo tempore, il se reflète encore entre ces quelques hameaux résiduels visibles, çà et là, le long de nos routes nationales ou à flanc de coteau de nos régions orientales, il y a encore – mais pour combien de temps ? – la sérénité de ces petits bouts de monde que sont nos villages repliés sur leurs légendes et mythologies fondatrices ; ces petits bouts de terre qui sont, pour les uns et pour les autres, tantôt berceau, tantôt tombeau.

Seraient-ils condamnés à devenir des simples lieux de sépulture de nos traditions les plus intimes, astreints à se détacher sans broncher de nos glorieuses civilisations du passé, pour à la fin jeter leurs baves aux pieds de nouveaux schèmes coutumiers transfrontaliers ?

Au-delà de la pénurie d’eau courante, ce manque criant des temps modernes dans nos milieux ruraux, il existe pourtant des nappes phréatiques inviolées de nos traditions, à l’état de nature, que nous envie le monde entier. Nappes qui ne demandent qu’à être mises en valeur au grand bonheur de nos populations de l’arrière-pays.

Au-delà de petits sentiers multiséculaires villageois, qui arrivent à peine à ne supporter que le passage d’’un vélo ou de quelques sacs de manioc ou de maïs, que faire pour désenclaver ces riches viviers où, faute de voies d’évacuation, des produits agricoles pourrissent sur nos prairies ?

Ce sont là tant de questions, comme d’autres, qui se posent à la gestion de la réalité rurale, et au-delà à la chefferie traditionnelle. Face à la disparition programmée de certains villages, faute d’habitants portés par quelque dynamique de conurbation, une nécessité s’impose : un réaménagement spatial rationnel en agrégeant des villages, par l’absorption des hameaux les moins viables au profit des grands ensembles.

L’objectif d’une telle démarche serait, à mon sens, de faire bénéficier des avantages qu’offriraient des programmes de développement lucidement et stratégiquement pensés, tant en termes de forage d’eau, d’aménagement des routes de desserte agricole, de raccordement en électricité, de construction des écoles et des centres de santé, etc.

Ce compromis, qui n’est pas sans conséquence sur la psychologie culturelle de certaines communautés villageoises obligées in fine à émigrer vers de nouvelles terres sans lien avec la terre mère, a pourtant toutes les chances d’assurer le bénéfice de la modernisation à un plus grand nombre d’Africains.

Cela suppose qu’en retour certains, inévitablement, certains hameaux devraient y perdre une part d’eux-mêmes. Cela suppose également qu’il faille retoucher la carte géographique de la chefferie traditionnelle. Et au-delà, l’identité intime de certaines communautés paysannes.

Ce dont il est question ici, c’est un effort de reconnaissance d’un système de gestion du pouvoir par une réappropriation consentie du discours historique, des visions identitaires fractales et des ambitions d’une profonde cohésion de nos communautés nationales autour des valeurs ancestrales.

Tout en reconnaissant que le monde est « divers », ce qui, en réalité, d’après Stanislas Spero Adotevi, ne serait qu’une tautologie, il est question en fait d’enrober cette « diversité » sous la forme de la « différence » qui porte notre altérité, en fixant notre intelligence sur ce qui fonde réellement nos identités communes propres en matière de gestion du pouvoir traditionnel.

Muntu : que viennent faire les valeurs ancestrales là où la modernité a tout décrété d’autorité ?

M.T. : Nulle ne détient quelque légitimité culturelle hors des précieux héritages de ceux d’avant. Eux qui ont vu le soleil avant nous et en connaissances les bienfaits. Eux qui ont tout balisé avant nous et pour nous. Il nous incombe de ne pas perdre de vue que, en tant qu’humains, tous nos gestes quotidiens sont des gestes de culture. Ils disent ce que nous sommes, ce que nous sentons, ce que nous reflétons auprès de l’autre, ce que nous désirons.

Tous nos gestes sont de culture et de sculpture d’espace ; ils témoignent pour aujourd’hui et pour demain. Ils célèbrent notre glorieuse et triomphante humanité. Ils reflètent une plasticité civilisationnelle polyphonique exprimant un monde pluriel, transculturel, conculturel, interculturel, inventif et fondé sur des altérités conviviales.

Nos gestes sont appelés à trouver leur expression la plus noble sur le grand théâtre de la vie de la Cité autour de cette grande calebasse de la culture collective qui est entre les mains de nos Chefs.

C’est à cette aune que la culture, elle qui est d’essence ontologique et symbolique, revêt son auréole d’éternité, sous l’advocation des ancêtres communs, sous le lien d’un sang unique ouvert à des alliances apparentées multiformes, sous la référence identitaire des noms et des totems collectifs, sous la curatelle d’un divin et d’un sacré proclamant urbi et orbi une indivision théologique consentie.

Cela va de la famille nucléaire (cellulaire), en somme de la maisonnée, en passant par la tribu, jusqu’au clan et sa longue chaîne des lignages complexes et inaliénables, dans un cumul assumé des temps : temps surnaturel (celui de la divinité et des mythes d’origine), temps cumulatif et circulaire, temps historique et vécu à hauteur d’homme lié à une commune ascendance… temps de… temps de…

Dans ces conditions, c’est le sang, facteur garantissant la filiation endogène, qui en proclame la légitimité au sein de tant d’unités co-existentielles. C’est ici que l’on peut comprendre la portée du propos de l’anthropologue Robin Fox quand il soutient (lorsqu’on se réfère à une certaine forme d’anthropologie de la parenté moderne) que « ces unités ne sont ni des firmes, ni des associations, ni des partis, ni des entreprises industrielles, ni des classes, ni de sectes, mais de groupes des gens apparentés entre eux en vertu d’un principe de filiation commune. »

Peut-on attendre d’une assemblée comme celle qui réunit les têtes Couronnées, comme vous les appelez, ici à Abidjan ?

M.T. : Qu’est-ce qu’on peut en attendre ? Une réflexion exigeante sur eux-mêmes, d’abord. Sur les nouveaux enjeux et défis qu’imposent la civilisation « Android » ambiante, sur le devenir de l’Afrique face à la décrépitude des traditions. Les faits et l’histoire sont têtus. Sous nos yeux, ils démontrent que la culture, que dis-je, la culture du dialogue interculturel au sein de la gouvernance de type traditionnel, de la manière dont cette dernière l’assume ce jour, n’est pas une vue l’esprit. Que le dialogue des esprits ou des corps (physiques et métaphysiques) est ce que le philosophe Hegel pense être au commencement de la civilisation ; à tous les échelons de la vie, il est en effet au commencement de toute société policée, au commencement de tout l’homme.

Voilà que les hommes de culture prêchent, eux aussi, par un exemple d’ouverture à l’autre, qui leur permet de fraterniser au cœur de ce que Paul Ricœur appelle, en d’autres termes, le centre éthique et mythique de l’humanité porté par un « corps politique » : l’institution monarchique et ses avatars formels (la royauté, le principat, la chefferie traditionnelle…)

A cette aune, la présente rencontre se veut un rite de fondation d’une culture de la reconnaissance de l’éminence de la royauté. Elle est un appel à l’unité et à la fraternité des corps et des esprits, tissée dans la chaleur de la convivialité panafricaine.

Au moment où, ici en Côte d’Ivoire, nous célébrons « le Chef » dans sa pleine solennité, une évidence s’impose d’elle-même : pour être visible aux yeux de tous, chaque communauté anthropologique a toujours besoin de repères. Et parmi les balises et sémaphores les plus emblématiques, il y a évidemment, mis en avant : le charisme, la sagesse et l’éminence et la noblesse de la pensée commensale, captée et redistribuée à tous sous l’autorité de la chefferie traditionnelle.

Muntu : Votre dernier mot ?

M.T. : Plaise à Dieu d’accompagner le Conseil Panafricain de l’Autorité Traditionnelle et Coutumière de ses meilleures lumières pour qu’à jamais vivent nos chefs et rois dans l’honneur et la dignité qu’ils incarnent.

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