Brazzaville à l’heure de la standardisation des langues bantu

LE BETI FANG, LE KIKINGO ET LE LINGALA ONT SUBI L’EPREUVE DE L’HARMINISATION DES REGLES ET SYSTEMES D’ECRITURE

LE CICIBA Y A APPORTE SA CONTRIBUTION

Du 18 au 19 octobre 2018, Brazzaville, la capitale de la République du Congo, a abrité l’Atelier sur l’harmonisation des langues transfrontalières (bantu) véhiculaires betifang, kikongo et lingala. Ce, en réponse à une des recommandations de la sixième session ordinaire de l’Assemblée de l’Union Africaine, en présence des Chefs d’Etat et de gouvernement africains, tenue à Khartoum du 16 au 24 janvier 2006. L’exigence de standardiser l’utilisation écrite des langues africaines fut confié à cette occasion à l’ACALAN-UA assorti de la nécessité de collaborer étroitement avec les Etats membres et les autres organisations internationales spécialisées en la matière. C’est à ce titre que le CICIBA, invité par son partenaire scientifique, l’ACALAN, participe à cette série d’Ateliers linguistiques voués à cette cause commune.

Rappel de contexte

L’Académie africaine des langues (ACALAN), institution spécialisée de l’Union africaine, est chargée de promouvoir et valoriser les langues africaines en tant que moyen pragmatique de favoriser l’intégration et le développement de l’Afrique. Lors d’une conférence de synthèse quia suivi les cinq conférences régionales organisées par l’ACALAN entre 2006 et 2009, quarante et une (41) langues transfrontalières véhiculaires ont été identifiées, parmi lesquelles douze ont sélectionnées pour la première phase pour laquelle des commissions doivent être mises en place. A ce jour, les membres de toutes les commissions ont identifié l’harmonisation des systèmes d’écriture de leurs langues comme domaines prioritaires.

Restait donc à mettre en place des stratégies appropriées en vue de la réalisation de cet objectif. Les langues étant indispensables dans l’enseignement, dans les échanges divers entre les communautés ainsi que dans la recherche scientifique, le besoin de mettre de l’ordre dans la disparité des systèmes d’écriture et autres canons orthographiques, par exemple, s’impose avant pour une meilleure opérationnalité de ces langues à l’échelle des communautés d’intérêt.

L’éducation étant un facteur important du développement socio-économique et, pour assurer une éducation de qualité, une langue joue évidemment un rôle essentiel. En plus d’être un moyen de communication primordial, elle est également un instrument de connaissance, de créativité, d’estime et d’affirmation de soi. A eux seuls, ces points suggèrent que la langue et l’éducation soient au cœur de tout processus de développement socio-économique.

Objectifs

Articulé autour de ces trois langues transfrontalières, l’Atelier de Brazzaville, a eu comme ambitions de :

  • harmoniser les différences dans les pratiques orthographiques ;
  • créer un alphabet et des systèmes d’écriture communs pour les langues ;
  • évaluer les différents principes et pratiques des langues ;
  • développer une forme d’écriture standardisée pour chacune des langues ;
  • élaborer des règles harmonisées de grammaire ;
  • mettre à disposition et diffuser les règles harmonisées complétées.

Confrontant les pratiques de terrain dans les trois champs linguistiques, au terme de fructueuses discussions, les participants sont arrivés à revoir et à compléter les règles orthographiques, alphabets, systèmes d’écritures tout en développant un minimum de lexique pour chaque langue.

On peut se réjouir de voir que désormais les kikongo et lingala parlés dans en RD Congo, au Congo-Brazzaville et en Angola (c’est selon) disposent désormais d’un cadre standard de leur expression obtenu sur la base d’un consensus d’experts autour d’un organisme attitré de l’Union Africaine. Il en est de même du Beti-fang, langues parlées dans plus ou moins cinq pays de la zone bantu (Guinée Equatoriale, Gabon, Nord du Congo-Brazzaville, Cameroun, São Tomé et Principe), qui ont eux aussi des références usuelles clairement harmonisées.

Pour atteindre un tel résultat l’ACALAN a mis à contribution toutes les expertises disponibles de la sous- région Afrique centrale, au nombre desquelles les apports provenant des :

  • membres des Commissions de langues transfrontalières véhiculaires Beti-Fang, Kikongo et Lingala ;
  • les structures nationales de l’ACALAN (points focaux) des pays dans lesquels les langues concernées sont parlées ;
  • des représentants de l’Assemblée des académiciens de l’ACALAN de la région ;
  • des représentants des ministères de la culture et de l’Education de la République du Congo, pays hôte ;
  • membres de la société civile des pays dans lesquels les langues concernées sont parlées.

Avec une telle méthodologie, doublée d’une mobilisation tous azimuts autour des langues communes, l’on ne pouvait que s’attendre à un tel succès. Ce qui fait dire, à juste raison, au Directeur Général du CICIBA (présent à ces travaux de bout en bout), sortant d’un si éprouvant exercice, ce qui suit : « La langue, autant que tout écosystème qu’elle peut générer, est notre vraie patrie. C’est dans sa langue que l’on éprouve un vrai sentiment de plénitude semblable à celui que l’on ressent en habitant sa terre ancestrale. Un naturel d’un pays est plus à l’aise quand il habite pleinement sa langue. Loin de quelque chaos identitaire, les travaux d’harmonisation de Brazzaville ont permis à chaque langue, ainsi revisitée et standardisée, de porter enfin ses habits de dimanche, de se doter d’un Territoire nouveau et ses puissances futures, de caresser de nouveaux rêves de grandeur. Le tout est désormais de savoir comment habiter sa langue, happé par le désir de s’y ancrer durablement au plus profond, et avec grande dignité. Comme quoi est la langue est « ma » première patrie », après la terre. En fait, le territoire des ancêtres. N’oublions pas (et c’est Chamoiseau qui nous l’a dit) : A force de rêve de grandeur et de puissance, le pays devient en moi un organisme vivant, compact et fluide, chaud et sensible ; une totalité-pays, ni clos, ni immobile. Son ensemble faisant merveille des saveurs de ses langues-mosaïques dans une totalité impossible à ébranler. »

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