Interview : du nouveau dans le monde bantu !

LA CHAIRE-UNESCO « Réseau Bantuphonie » : langues en danger, savoirs endogènes et biodiversité

OUVRE SES PORTE A LIBREVILLE 

Piloté par le Professeur Patrick MOUGUIAMA-DAOUDA, comme Coordinateur international, une Chaire Unesco à vocation sous-régionale est désormais opérationnelle en Afrique Centrale. Affiliée à l’Université Omar Bongo (UOB), avec des extensions auprès d’autres universités partenaires (Brazzaville, Yaoundé, Lyon 2, etc.), cette nouvelle Chaire est en même temps membre du Programme UNITWIN. En amont, le CICIBA, son partenaire institutionnel privilégié, a contribué à sa création ainsi qu’à l’atelier méthodologique destiné à harmoniser ses grandes orientations épistémologiques. Sous ces lignes, le Directeur Général du CICIBA, le professeur Antoine Manda Tchebwa, nous livre ses premiers sentiments sur cette heureuse initiative.

MUNTU : quel est votre premier sentiment devant cette nouvelle initiative en rapport avec le développement de l’univers bantu en milieu universitaire ?

  1. T. : « Je me sens honoré de prendre une part active à un événement si important qu’est le lancement officiel du programme UNITWIN dans le cadre de la Chaire-UNESCO en même temps que le « réseau bantuphonie » consacré aux langues bantu (dont la richesse réside dans leurs diversités) et à la biodiversité prend ses premières marques. Je voudrais, pour ce faire, féliciter avec un enthousiasme renouvelé le Professeur Patrick Mouguiama-Daouda, Coordonnateur international et initiateur du réseau et de ladite Chaire, pour sa ténacité et surtout sa grande vision quant à ce. Dans ce faisceau de congratulations, je n’oublie pas l’Université Omar Bongo, un des premiers partenaires scientifiques privilégiés du CICIBA, pour son implication dans cette belle aventure qui démarre ce jour à Libreville. L’UOB abrite désormais un foyer d’études et de recherches sur la bantuphonie en tant qu’instance académique où le monde bantu devra se relier, par le biais d’une science instruite, à linguistique innovante et conviviale capable de contribuer, au-delà des flux numériques contemporains, à la fondation de notre être-ensemble. Et de bien d’autres choses en lien avec les savoirs endogènes et le domaine de la biodiversité. »

MUNTU : Qu’est-ce qu’on peut attendre d’une telle initiative ?

M.T. : « Il me tarde de signaler que le caractère exceptionnel de cet événement n’échappe à personne. Car, pour la première fois dans l’histoire des peuples bantu, l’Université et le monde de la recherche, accomplissent ce jour un acte de fondation majeur à l’échelle de notre continent. Acte de fondation qui permet aux sciences humaines et sociales, dans la quête de l’identité bantu de construire une épistémologie originale et audacieuse sur un champ, la linguistique bantu, longtemps laissée en friche par des pratiques bien souvent nourrie par des considérations exogènes. D’autres ont longtemps étudié pour nous, nos propres langues. D’autres ont édicté pour nous les règles d’une linguistique extravertie. D’autres ont indiqué aux Bantu leur propre manière d’articuler la recherche sur des classifications linguistiques parfois alambiquées, quand elles ne sont pas calquées sur des schémas d’emprunt. Avec l’avènement de cette chaire, l’heure est venue d’en faire un lieu de renaissance. Aux Bantu (chercheurs ou commun des mortels) de s’approprier les langues bantu en les faisant renaître sinon en les faisant revivre dans ce qu’elles ont de vivifiant, d’original, de sérieux, d’euristique et d’éternel. Comment ne pas remercier les pères fondateurs du CICIBA, avec en tête son initiateur Son Excellence El Hadj OMAR BONGO ONDIMBA, lesquels dans leur élan de (re)fraternisation avait compris, bien avant tout le monde, une chose essentielle. Une fois assumés les héritages communs, une fois l’union des peuples bantu reconstituée, une fois la commune mémoire restaurée et célébrée, il reste à gagner un autre combat : celui de travailler à la revigoration de nos langues natives bantu, ainsi qu’à leur mise majesté lors de tous les rendez-vous du donner et du recevoir. Autrement dit, nos langues ne doivent pas mourir. Elles doivent, tout en continuant de s’enduire de leur authenticité, être d’une vitalité accrue, au même titre que les autres. Voilà qu’à son tour la capitale gabonaise, siège du CICIBA, devient ce promontoire d’où, désormais, le bantu (langue) rayonnera sur l’ensemble du continent noir en tant que réalité bantu riche de sa vitalité, tout en acquérant dans la foulée une irrésistible puissance d’expansion. »

MUNTU : quel pourrait être le niveau de collaboration du CICIBA et de la Chaire UNESCO « Réseau bantuphonie », savoirs endogènes et biodiversité ?

  1. T.: « J’en vois tout de suite quatre. Le premier c’est la mutualisation des compétences pédagogiques. Les personnes-ressources du Centre (notamment les professeurs) seront mis à contribution pour apporter leur part d’expertise sur le plan de formation. Les choses ont même déjà démarré sur ce plan. Le second c’est l’activation du réseautage CICIBA et les Bantu des Amériques. Des demandes en formation de formateur et en enseignements sur l’univers bantu ont été enregistrées depuis l’ouverture du CICIBA sur les Amériques. Un des premiers pays demandeurs est le Brésil. Ensemble (CICIBA-Chaire UNESCO « Réseau bantuphonie »), nous nous emploierons à satisfaire ces nouveaux besoins. Il nous faut travailler à leur mise en œuvre en mettant en commun nos moyens scientifiques disponibles. Le troisième c’est la recherche qui, du reste, est le fondement de l’enseignement. Partageant à bien des égards des domaines d’intervention convergents, il nous sera donné de conjoindre nos efforts autour des sujets pertinents à effets multiplicateurs. Cet aspect touche autant aux recherches de terrain, à l’organisation des rencontres scientifiques (séminaires, colloques, conférences de haut niveau, etc.) qu’à la vulgarisation de tous ces savoirs interrogés. Le quatrième volet c’est est le lien à établir avec le domaine de l’édition. En tant que foyer de recherche, depuis sa fondation le CICIBA développe une activité éditoriale stimulante, qui lui a permis de se positionner favorablement dans ce secteur. Nous pourrions envisager la co-édition de nos meilleurs produits intellectuels à l’aune des protocoles épistémologiques suffisamment rigoureux. »

MUNTU : Cela suppose, bien entendu une vision éthique responsable, je suppose ?

  1. T.: « Bien sûr. Notre approche épistémologique a toujours été respectueuse de la dignité et de l’honorabilité du Muntu en tant qu’être humain plénier, lui qui, contrairement aux portraits qu’en fait la littérature paléo-historique, sans doute n’est plus un homme de caverne. Les Bantu ne sont pas des « objets » de recherche, au sens de l’ethnologie européocentriste des temps premiers. Encore moins des « cobayes » soumises à des observations cliniques captieuses. Ils devraient être des « sujets » d’une anthropologie cordiale. Rien qu’en termes d’approches linguistiques, par exemple, ce n’est nullement pour se conformer à un discours fondamentalement scientiste que le CICIBA souhaite que les langues bantu soient étudiées et diffusées en raison de leur caractère dit « baroque », mais bien pour ce qu’elles représentent comme support identitaire honorable et enjeux de survie pour des civilisations entières promises à un avenir glorieux et ouvert à tous les projets de développement concernant plus de 300.000 locuteurs, regroupés en plus de 23 pays, unis par des liens d’une identité historique et culturelle intangibles. A cet égard, justement, la pertinence de cette Chaire apparaît dans toute son évidence, car appelée à explorer avec hardiesse et finesse, mieux qu’on ne l’a fait hier, un ensemble des langues qui, répondant à une loi de finalité « essentielle », ont besoin d’un souffle et d’un regard nouveaux dans leur saisie. Qui plus est, elle se doit d’aider à redire nos propres histoires et gestes glorieux à partir de toute la palette de nos inventions spirituelles et matérielles, culturelles et artistiques, sans avoir à nous enfermer dans des dogmes surannés. Autant, elle devrait nous aider à projeter vers le futur, armés d’une pédagogie capable de nous aider à maitriser les sciences à partir des concepts bantu en vue de l’édification d’un solide spectre du savoir, du savoir-faire, du savoir-faire-faire et du faire savoir au bénéfice du monde bantu, sinon du monde tout court. On en attend donc des grammaires, des lexiques et des méthodes hardis, acquis aux vertus d’un comparatisme audacieux en parfait accord avec une interdisciplinarité résolue, dans le but, évidemment, de nous sortir d’une monographie autiste. »

 

MUNTU : Est-ce là le principal défi qui attend la bantuphonie demain ?

 

M. T. : « La Bantuphonie est certes notre crédo, mais c’est surtout ce par quoi nous peuples bantu entendons prendre un nouvel élan dans l’affirmation et la conquête de notre être-au monde, dans un esprit partagé, riche des apports de nos meilleurs enseignants et chercheurs. Tous unis par une longue chaîne de la fraternité bantu. Au-delà des questions touchant à la survie de nos langues, il y a bien d’autres sujets de l’heure qui intéressent le monde bantu et qui méritent d’être suffisamment investigués. On attend, par exemple, une réflexion exigeante sur notre rapport au village, à l’écologie, aux problématiques de la dégradation de l’environnement et ses effets subséquents, et au devenir de nos écosystèmes les plus immédiats, pour ne pas avoir à assister impuissants, à la disparition non seulement de nos langues, nos traditions et coutumes, mais aussi à tout ce qui fonde notre exister. La présence de tant de personnalités du monde scientifique africain et européen à cette activité inaugurale (M. Vincenzo Fazzino de l’UNESCO, l’ingénieur Christian Fressard, le prof. Jean Aimé Pambou, le prof. Louis Perrois, etc., et la dynamique équipe du Laboratoire Langue-Culture-Cognition) augurent d’heureuses perspectives. Longue vie à la Chaire UNESCO-Réseau bantuphonie… ! »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

You may use these HTML tags and attributes:

<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>