Restitutions des biens culturels donnés ou pillés pendant la colonisation

LE CICIBA SOUTIENT L’INITIATIVE de Restitution des Biens culturels Africains ANNONCEE PAR LE PRESIDENT EMMANUEL MACRON

 

 « Le patrimoine africain (…) doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou (…) Ce sera l’une de mes priorités. D’ici cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l’Afrique »

Cette annonce faite à Ouagadougou, en novembre 2017, par le Président français Emmanuel Macron, s’adressant à la jeunesse estudiantine ouagalais, fait son petit bonhomme de chemin. Autant que les réactions en Afrique gagnent chaque jour en intérêt. L’initiative en elle-même, quoiqu’encore diversement commentée, est en général saluée avec un réel enthousiasme, tant dans le milieu des professionnels de la gestion du patrimoine muséal qu’au sein des dirigeants politiques africains. Depuis, la zone bantu, à l’image des autres espaces culturels subsahariens concernés par cette problématique, est en attente du retour du riche patrimoine hérité de ses devanciers.  Cela dans un esprit de coopération et non de conflit.

La récente réunion organisée à l’UNESCO, la semaine dernière, à Paris a permis de mieux cerner cette actualité. On connaît l’intérêt que l’organisation de l’ONU porte à cette question face aux des enjeux primordiaux des politiques patrimoniales mises en œuvre depuis les années 1950, qui ont donné naissance à un certain nombre de textes, conventions, recommandations, proclamations émanant d’organes transnationaux, etc. Textes qui, depuis, ont permis d’instituer des catégories juridiques dans le domaine du patrimoine autour des notions comme : « propriété culturelle », « patrimoine mondial de l’humanité » ou « patrimoine culturel immatériel ».

Faisant face à l’urgence de la restitution des objets culturels issus de l’occupation coloniale et des pillages historiques divers, déjà au tournant des années 1970-1980 l’UNESCO a cru bon de s’emparer de ce débat en apportant sa contribution à l’institutionnalisation des procédures. Son directeur général de l’époque (1978) Amadou-Mahtar Mbow a même, à cette occasion, lancé un « appel pour le retour à ceux qui l’ont créé, d’un patrimoine culturel irremplaçable ». Appel qui fait écho à une position prise par l’UNESCO en 1973, qui ne prêche pas autre chose que le « retour » ou la « restitution » (voir 23 rés. ONU, 1973-2006) de tous les trésors arrachés à leurs propriétaires légitimes par tous les moyens illicites, prédation coloniale ou autres compris.

Signalons que la notion de « restitution » interchange ici avec celle de « retour » des biens culturels dans une optique de (re)légitimation d’une propriété niée, sinon outrancièrement méconnue. Entre, d’une part, un Etat contrit (cédant) et, d’autre part, un Etat (re)légitimé, puisque rétabli enfin dans son plein droit.

La raison est que : « Les peuples victimes de ce pillage (transferts massif et gratuits des biens culturels) parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’œuvre irremplaçables : ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans doute aidés à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se faire mieux comprendre des autres. […] Aussi ces hommes et ces femmes démunis demandent-ils que leur soient restitués au moins les trésors d’art les plus représentatifs, ceux auxquels ils accordent le plus d’importance, ceux dont l’absence est psychologiquement le plus intolérable. » (id.).

La question ici se pose, tour à tour, en termes de « reconnaissance d’un tort », de « redressement d’une vieille injustice » ayant porté sur la mémoire, de « reconnaissance d’une dette morale », de « restauration du passé », de reconnaissance de « droit de propriété culturelle », sinon de « représentativité du patrimoine culturel ». Catégories qui plaident pour une remise dans la plénitude d’un droit en faveur d’un propriétaire des biens spolié et dépossédé d’une partie de sa mémoire identitaire.

En attendant la concrétisation effective de la restitution puis du rapatriement des objets culturels dument identifiés par la partie française (pour commencer), il sied de noter que 90% des objets africains se retrouvent actuellement hors du continent. Que le domaine de l’art africain demeure un des secteurs les plus inventifs, les plus chargés mystiquement et symboliquement, les plus originaux du monde. D’où, le pillage en règle dont il a été victime sous la colonisation européenne. Que plus de 9 à 10 000 pièces, véritables « sémiophores » de l’univers religieux et de la royauté dahoméenne (sièges royaux, sceptres, bas-reliefs, colliers, ornements divers, etc.), du monde bantu (arts et styles riches et divers : fang, kota, punu, teke, kuba, luba, cokwe, kongo, etc.) et créoles (têtes séchées des Mahori) ont été transposées sans concession en France et ailleurs. Que cette première initiative de restitution devra faire jurisprudence parmi les autres anciennes colonies et puissances tutrices coloniales d’Europe et des Amériques encore réticentes.

L’aura et la présence magique qui avaient naguère couvert ces objets ont certes été violées, peut-être vidées de leurs attributs divins, mais l’ingéniosité et l’inspiration naturelle ayant présidé à l’élaboration de tant d’œuvres inédites demeurent. On peut aussi avoir à l’esprit qu’entre codes esthétiques et éthiques singuliers, reliquaires, sièges ornés, pipes, chasse-mouches, masques zoomorphes ou anthropomorphes des antiques royaumes, statuaires équiformes, longiformes ou bréviformes, effigies janiformes, sculptures concaves ou convexes destinés aux activités rituelles ou ludiques (ornées parfois des cauris, de fils métalliques ou de verroteries), objets lithiques funéraires, bracelets, sceptres… participent, presque partout en zone bantu, d’un foisonnement créatif d’une rare beauté plastique, parfois sévère. Affiliées à des collections européennes et américaines (publiques ou privées), ces œuvres, figées, désessentialisées, « incarcérées » contre leur volonté, hier appartenant à des confréries initiatiques, se sentent à l’étroit dans un univers culturel et spirituel qui, à égale considération, ne sera jamais le leur.

En prévision de l’opération de rapatriement annoncée par la France, faisant face au « principe d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité » d’objets appartenant au domaine public qu’induit le présent projet dans le droit positif français, il est confié à Bénédicte Savoy (historienne d’art, membre du Collège de France) et Felwine Sarr (écrivain et universitaire sénégalais) la charge d’étudier tous les contours tant juridiques, moraux, éthiques que politiques de ladite restitution, ainsi que les conditions de leur protection dans les pays africains auxquels appartiennent ces biens culturels. L’équipe technique ainsi commise a jusqu’au mois de novembre prochain pour rendre son avis. Elle devra notamment examiner les conditions dans lesquelles ces œuvres pourront être rapatriées puis protégées dans leurs pays d’origine.

A cet égard, le souci d’Emmanuel Macron est sans équivoque :

«Le meilleur hommage que je peux rendre non seulement à ces artistes, mais à ces Africains ou ces Européens qui se sont battus pour sauvegarder ces œuvres, c’est de tout faire pour qu’elles reviennent. C’est de tout faire, aussi, pour qu’il y ait la sécurité, le soin qui soit mis en Afrique pour protéger ces œuvres. Donc ces partenariats prendront aussi toutes les précautions pour qu’il y ait des conservateurs bien formés, pour qu’il y ait des engagements académiques et pour qu’il y ait des engagements d’Etat à Etat pour protéger ces œuvres d’art. », a indiqué en substance la président Macron.

Une telle vision des choses montre qu’on est presque sorti de l’ère des tabous et de la langue de bois. Que les esprits, en Europe, se libèrent peu à peu des emmaillotements idéologiques des temps coloniaux. Que l’ouverture à l’autre et le dialogue interculturel confinent à un langage de vérité et à une restauration mémorielle adossée à un partage franc des biens culturels en tant qu’objets d’un imaginaire humain commun.

Quand on considère l’éminente valeur de tant d’objets, fruits de la fécondité de l’imaginaire africain, de surcroît bantu, le CICIBA ne peut que joindre sa voix à celles des autres, qui voient en ce geste annoncé le lever d’un nouveau soleil à l’horizon de la réparation d’une injustice qui n’aura que trop pesé sur la conscience des victimes africaines. Et aussi, la restauration d’une personnalité et intimité intrinsèque tant bafouée dans le chef de chaque pays dépossédé.

Pour nombre de pays de la zone bantu, comme le Gabon (pays victime parmi tant d’autres et pays  du siège du CICIBA), la pertinence de cette initiative est que, conscientes de leur responsabilité historique par rapport aux enjeux de la préservation de l’identité, des héritages immatériels de la nation, de la valeur patrimoniale des objets, les autorités gabonaises ont fait un bon choix en dotant Libreville d’un nouvel espace muséal, plus vaste, plus ambitieux, plus fonctionnel et capable d’accueillir désormais, dans les normes de conservation les plus rigoureuses, toutes formes d’expositions d’objets. Le tout dans l’articulation du présent et du passé, du sacré et du profane… L’aménagement de ce nouveau musée gabonais est envisagé, en un sens, comme une opportunité de réinventer le passé gabonais dans une perspective de (re)fondation d’un héritage intangible, intimément ontologisant.

L’ayant appris, le CICIBA s’en félicite dans la mesure où cette nouvelle acquisition contribuera, une fois entrée dans sa phase opérationnelle, à impulser avec une plus grande efficience l’activité muséale gabonaise, donc bantu, dans une parfaite synergie avec le Centre International des Civilisations Bantu. Cela en mutualisant compétences et objets culturels dans un même rapport au temps et aux même ambitions heuristiques. Tout en ayant conscience que, indubitablement, « l’héritage culturel conditionne dans le présent et l’avenir l’épanouissement artistique d’un peuple et son développement intégral ».

Il est surtout question ici de redéfinir les équilibres entre la société en elle-même, ainsi que dans ses rapports aux autres dans le cadre d’un libre-échange des biens culturels empreint de dignité et de souveraineté pleine et entière. Echange qui n’est pas autre chose que la traduction en actes du fameux « rendez-vous du donner et du recevoir » paritaire dont parlait Senghor, où il est donné à chaque peuple d’honorer le génie de ses anciens. Autre manière de célébrer son passé glorieux et son présent souverain, tout en réorientant la patrimonialisation de ses précieux héritages, en tant que trésors relevant d’un imaginaire dont l’intérêt est toujours actuel.

Pr Antoine Manda Tchebwa

Directeur Général du CICIBA

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