RDC : Les adieux d’un grand poète bantu

LUTUMBA SIMARO MASIYA DEPOSE DEFINITIVEMENT SA GUITARE AUX PIEDS DE SON PUBLIC

Le 19 mars 2018, à l’heure où sonnaient ses 80 ans d’âge, Lutumba Ndomanueno dit Simaro Masiya, guitariste émérite, talentueux chansonnier et auteur-compositeur prolifique, a décidé de quitter la scène musicale active de la rumba congolaise. Lui qui a contribué à sa réputation à travers une abondante discographie restera dans les annales congolaises sous la figure d’un héros civilisateur. Le voilà qui quitte la scène, ce jour, de son vivant, auréolé d’une gloire éternelle.

Cette grande figure bantu au parcours, ô combien élogieux, a ainsi rangé son instrument de prédilection, après avoir, près de 60 ans durant, apporté sa flamme vivifiante dans les cœurs de ses contemporains.

« Mirifique et irradiante à la fois, l’œuvre chansonnière de Lutumba Ndomanueno, vu comme éducateur social, philosophe et poète, demeure présente dans nos cœurs, dans nos oreilles et dans notre subconscient ». Comme l’indique le Pr Antoine Manda Tchebwa, qui revisitait son itinéraire dans ‘’Retro Histoire et Mémoire’’, la revue Liaison N°4 parue en 2015 et éditée à Brazzaville par l’Atelier Beaudley.

Levant un pan de voile sur son parcours, le chroniqueur affirme : « Cet artiste dont un des traits caractéristiques est de dire tant des choses de la vie avec une telle beauté et une si étonnante profondeur a su faire un choix méticuleux pour faire intervenir, dans ses chansons, les meilleures voix que compte la musique congolaise ». Cela à chaque étape de sa carrière tant dans l’OK Jazz, aux côtés du ‘’Grand maître’’ Franco Lwambo Makiadi, qu’en dehors de cet ensemble musical. Ses meilleures collaborations avec la crème de la chanson congolaise vont de Sam Mangwana à Papa Wemba en passant par Madilu, Djo Mpoyi, Carlyto, Malage, Pépé Kallé, Mbilia Bel…

Comme à son habitude, relève-t-il, « cette icône de la musique congolaise a su refléter dans l’autre le fruit de sa longue et attentive observation de l’espace social dans ses multiples contextes, dans ses rapports à ses congénères, à sa société tout comme à son propre destin d’humain. Cette manière de voir la vie est comme un appel à la responsabilité individuelle ».

C’est une patine ravissante tant dans sa faconde poétique que dans les savoureuses inflexions vocales de ses interprètes que le compositeur d’ébène, Lutumba Simaro a toujours su offrir aux oreilles de ses fans. Autant dire que « l’écriture poétique de Simaro incarne bien souvent, comme dans un bain de jouvence, des procédés imageants. L’usage métaphorique de certains artifices de langage, et leurs symbolismes subséquents, est destiné à frapper l’imaginaire, à faire voyager l’auditeur dans l’univers complexe des signes et consignes de la société ».

De même, il est donné de penser que « les formules analogiques dans sa production poétique tiennent lieu de paradigme dans un certain nombre de ses chansons ».

C’est à se demander comment, imprégné d’une telle sève, peut-on résister à une telle offre artistique marquée par la dialectique joies et peines, rires et pleurs, avec en plus tant de poésie ? Il n’y a aucun doute possible, Simaro est un as de la chanson.

« Ouvrier de la parole tout en polissant l’écriture, il a toujours été attaché par une exigence dont il détient le secret. La noèse de cet objecteur des consciences est un mélange de travail au corps à corps avec les mots et, au-delà, avec leur sens poétique ou philosophique dans les limites d’un espace social où le poids  des us et coutumes de son peuple et des règles universelles d’une coexistence cosmopolite sont encore de mise ».

Ne serait-ce qu’à cet égards, il ne serait pas superflu de soutenir, à la suite du propos de chroniqueur, que « Simaro appartient à cette caste rare de professeurs de la vie qu’il n’est donné de croiser que sur une terre de la chanson. Excellent romancier du cœur, il a cumulé l’art de transmettre un savoir-vivre et un savoir-être capables de traverser des siècles sans prendre une ride, sur fond d’un humanisme humble, moins pédant ».

Sous la plume de Bouetoum Kiyindou, il est donné de découvrir un autre pan du génie de cet amoureux de mots lorsqu’il s’agit de peindre les personnages de l’univers de l’intimité. C’est là qu’apparaît le grand art du poète additionné à la précieuse sentimentalité lyrique que l’on retrouve « dans le maniement de la parole au signifié précis, adossé à l’usage remarquable des locutions proverbiales et autres maximes, parfois de son invention. Ciseleur doué, il propose un texte qui transporte, vers les hauteurs, mélomane avisé ou auditeur lambda, grâce à ses envolées lyriques et sa musicalité intrinsèque, jamais entachées, ni par la moindre obscénité. Il s’érige systématiquement en moraliste… »

Bien plus : « Lutumba Simaro, du haut de sa tour de sagacité, invite, d’une certaine manière, à la réflexion, à l’analyse consciente de la réalité ambiante de son ‘’grand village’’ avec la particularité de ses innombrables ‘’ngandas’’ et bars-dancing, lieux de retrouvailles plus ou moins renommés, authentiques baromètres de la société congolaise… »

Tirant la dithyrambe, sans aucun doute, on n’aura pas fini d’épiloguer sur ce vieux compagnon de Franco Lwambo Makiadi, que nous aurions voulu garder pour longtemps encore sur scène, hélas, l’homme propose, le corps humain dispose. Est-il que son empreinte poétique et philosophique restera indélébile dans la musique congolaise qu’il a servie sans discontinuer près de six décennies durant.

Et ce n’est que juste récompense que tant des services soient reconnus à leur juste hauteur et que les autorités de la République démocratique du Congo aient décidé, en guise d’hommage, d’accompagner cet événement d’un faste si retentissant.

Il n’y avait pas meilleure façon de célébrer un tel génie que débaptiser l’ancienne avenue Mushie dans la commune de Lingwala au nom de l’artiste Lutumba Simaro. Ce qui est une manière, pour lui, d’entrer dans l’immortalité porté par sa communauté de destin, de même que tous les symboles que va charrier désormais le buste qui désormais sera porté par une stèle à sa gloire à Kinshasa.

Comme qui dirait, les génies ne meurent jamais. Longue au poète Simaro Masiya, muana ya Lingwala.

 

 

La discographie de Lutumba Simaro

Une bonne centaine d’œuvres compose le répertoire de cet artiste talentueux, auteur-compositeur hors pair créées, pour l’essentiel, dans l’OK Jazz, Vévé, l’éphémère groupe Mi, Bana OK et parfois en solo. Faute des références, certains titres ne figurent pas sur cette liste…

       

-Simarocca, Muana etiké, Lisolo ya ndaku, Naboyi libala ya nkisi, Honotta wa Masia, Natikali Likuwa, Cuando cito (1962), Yamba ngai na Léo, Guena cha cha, Mboka nini okende, Nani akosenzela mwana, Mado aboyi Simaro, Guitare de l’enfer, Mbanda kazaka, Gégé obungi (1965), Nakosala ndengé yo okolingaka, Annie abosani ngai, Décision eleki makasi (1966), Santa Guiguina, Ti toboyana nakoma ndoki (1968), Mwasi ya ba patrons, Regina Regina, Niongo na ngai Souza, Okokoma mokristo (1969), Fifi nazali innocent (1970), Ma Hélé (1971), Na lifelo bisengo bizalaka té (1972), Minuit eleki Lezi (1973), Mabélé (1974), Nakosala ndenge yo olingi, Annie obosani ngai, Ce palmier, Frantail aboya ngai, Dit Laurence, Bako kabuanaka boye té, Mace (1977), Monzo, Ebalé ya Zaïre, Bisalela, Présence na ngai ebangisaka, Okozela trop, Inousa, Radio-trottoir, Samedi ya suka Jérôme, Efongé, Yamba Léo, Guena cha cha, Makambo, Mbawu (1979), Odutaka la vie mon cher, Mbongo (1981), Maya, Tshala, Affaire kitikwala, Bangaka basi ya batu, Pablo Tumbajika, Mokili mbanga taba, Charlie, Tumba Masikini, Kadima, Mamba, Mandola, Faute ya commerçant, Mbanzi ya kamundelé, Kabongo, Nalembi, Ingratitude, Crise de confiance, Dibatay, Testament ya Bowulé, Vaccination ya ba soucis, Tala merci bapesaka na mbua, Aminata nazangi visa, Cœur artificiel, Mangasa, Maclebert, Sindo na Bruxelles (1989), Mi amor, Lisano ebandaki na Kin Malebo, Gina bondela famille, Zulu banga basi ya bakulutu, Mamisa (1991), Bilonda, Ono Tumba, Ofela, Momboulé, Mofiti, Motema libanga, Jimmy Mukelenge, Diarrhée verbale, Muana ndeké, Dathi pétrole, Faute ya commerçant (1993), Cabinet molili (1994), Cœur artificiel, Eau bénite, Verre cassé, Trahison, Licencié…

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