Une première au CICIBA

Le professeur BITJAA KODY Denis Zachée,

Directeur de la recherche du CICIBA, offre à la

communauté bantu une grammaire en langue

basaa

A peine affecté par le Cameroun au CICIBA pour assumer la charge de Directeur de la recherche, l’excellent linguiste et didacticien camerounais, directeur de plusieurs thèses de doctorat en Afrique et ailleurs, vient de doter le continent africain d’un travail original : une grammaire notionnelle entièrement rédigée en langue africaine, le basaa. Edité par le CICIBA, dans le cadre de la relance de ses activités éditoriales, cet ouvrage, préfacé par le professeur Antoine Manda Tchebwa, Directeur Général du CICIBA, sera porté sur les fonds baptismaux dans les prochaines semaines à Libreville et à Yaoundé.Pour en savoir plus, notre rédaction a approché son auteur, qui s’est livré volontiers à nos questions.

Muntu : Comment est née l’idée d’une grammaire en langue africaine ?

Bitjaa Kody: Depuis la période coloniale, les politiques linguistiques ont confiné les langues africaines aux fonctions sociales subalternes et peu vitalisantes de langues familiales, bucoliques, claniques, ethniques et tribales, au motif qu’elles seraient dénuées d’un vocabulaire leur permettant d’exprimer les notions scientifiques et les réalités du monde moderne pour assumer des fonctions sociales vivifiantes de langues de scolarisation, de l’administration, de la justice, des publications, de l’audio-visuel, etc., qui furent attribuées de facto et de jure aux langues occidentales devenues officielles en Afrique. Or en validant cet état de fait, les Africains signaient l’arrêt de mort des langues et des cultures africaines. Un siècle plus tard, dans plusieurs pays africains, nous assistons impuissants à la disparition progressive des langues africaines dans l’usage quotidien.

Pour sauver celles qui peuvent encore l’être d’une disparition certaine, le Cameroun, sous l’impulsion du Président Paul BIYA, a adopté et promulgué une série de textes juridiques  introduisant l’enseignement des langues locales dans le système éducatif. Dans la mise en œuvre de ces textes,  un Département de langues et cultures camerounaises est créé en 2008 à l’École normale supérieure de Yaoundé, pour la formation de professeurs qualifiés pour l’enseignement des langues et des cultures nationales dans les lycées et collèges du Cameroun. La méthode directe qui consiste à enseigner une langue dans la langue elle-même est retenue comme principe pédagogique dans l’enseignement des langues nationales à l’École normale supérieure.Or, pour qu’une langue africaine soit convenablement enseignée dans la langue elle-même, elle nécessite non seulement des ressources humaines formées, mais aussi des ressources didactiques dont des ouvrages de référence de la norme écrite (dictionnaires, grammaires), des manuels  scolaires pour l’enseignement/apprentissage de la lecture, des mathématiques, des sciences d’observation, de l’histoire, de la géographie, et des livres de lecture continue : romans, recueils de contes, recueils de proverbes rédigés dans ladite langue africaine.

L’idée d’une grammaire en langue basaa s’impose ainsi de la nécessité d’enseigner la grammaire du basaa en cette langue aux élèves-professeurs basaa de l’ENS de Yaoundé. D’autres grammaires en langues camerounaises sont en cours de finition dans cette même école.

MUNTU : Pourquoi une grammaire du basaa en basaa ?

BITJAA KODY : Comme je le précise dans la dédicace de la page 11 au Professeur Henri Marcel BOT BA NJOCK, cet ouvrage répond à un besoin. Il est rendu nécessaire tout d’abord par la nouvelle politique linguistique du Cameroun impulsée par le Président Paul BIYA et consignée en 4ème de couverture de l’ouvrage, ensuite par la création du Département de Langues et Cultures camerounaises à l’École normale supérieure de Yaoundé, et enfin les programmes de formation en LCN élaborés et publiés par le Ministère des Enseignements secondaires qui viennent renforcer ce besoin en imposant que de la classe de 4ème en Terminale chaque élève apprenne une langue camerounaise de son choix. Dans les cours de Langue nationale inscrits au programme, les contenus de la grammaire du basaa en langue basaa qui vient de paraitre seront dispensés par les professeurs des lycées enseignant cette langue de la 4ème en terminale. Cette grammaire servira aussi de support pédagogique dans la formation initiale des Professeurs des Lycées dans les ENS et des instituteurs de l’enseignement primaire dans les Écoles normales d’es Instituteurs de l’Enseignement Général (ENIEG).

MUNTU : Quelles ont été les principales étapes de son élaboration ?

BITJAA KODY : L’idée de la rédaction d’une grammaire du basaa en langue basaa remonte à 1987, lorsque jeune attaché de Recherche à l’Institut des Sciences Humaines du Cameroun, nous participons au Programme Lexique thématiques d’Afrique Centrale (LETAC) dans l’équipe de la langue basaa dirigée par le Pr Henri Marcel BOT BA NJOCK. En travaillant sur le vocabulaire scolaire, nous avions alors arrêté toute la terminologie relative aux mathématiques, à la grammaire, à la géographie, à l’histoire et autres disciplines scolaires dans la langue basaa. Les résultats de nos recherches furent consignés dans un volume de LETAC non publié, faute de financements de l’ACCT à la fin des travaux. Les résultats de la recherche sur les catégories grammaticales en basaa furent consignés dans PEN, 1990. Suite à l’ouverture du DLCC à l’ENS et face à la nécessité d’enseigner la grammaire du basaa en langue basaa aux élèves professeurs de langue basaa, je suis chargé de l’enseignement de la grammaire du basaa en langue basaa à l’ENS depuis la rentrée académique 2008-2009. Au début, j’ai dispensé oralement le cours sur les catégories grammaticales aux élèves professeurs de 4ème et 5ème année de cette grande école. A la fin de chaque semestre, je collectais les notes prises par chaque élève-professeur pour en assurer la saisie et organiser le contenu de la grammaire. Ainsi, d’année en année, le contenu de l’ouvrage s’est étoffé grâce aux questions des élèves-professeurs et aux apports des enseignants de l’ENS utilisateurs de l’ouvrage, dont les noms figurent à la page 12. Nul doute qu’elle sera enrichie de nouveaux chapitres dans les années à venir.

MUNTU : Comment comptez-vous insérer cette grammaire dans l’enseignement des langues au Cameroun ?

BITJAA KODY : L’utilisation de la grammaire du basaa dans les salles de classes au Cameroun n’est plus une préoccupation, elle est désormais une nécessité. Il ne nous revient plus de la négocier.  Une série de lois camerounaises adoptées par l’Assemblée Nationale et promulguées par le Chef de l’État, S.E. M. Paul BIYA, autorisent l’enseignement de toutes les langues nationales du Cameroun dans le système éducatif. Bien entendu, les 236 langues nationales du Cameroun ne sont pas au même niveau de développement et ne pourront pas toutes intégrer ce merveilleux circuit de promotion des langues qu’est l’école. Chaque ministère en charge de l’Éducation joue sa partition pour mettre en musique la vision du Chef de l’État. Depuis la rentrée académique 2008-2009, le Ministère de l’Enseignement supérieur du Cameroun a ouvert un Département de Langues et Cultures camerounaises à l’École normale supérieure de Yaoundé et j’ai eu l’insigne privilège d’en être le tout premier dirigeant. Ce Département forme chaque année des enseignants qualifié pour l’enseignement des langues et des cultures endogènes dans les Lycées de l’enseignement secondaire sur l’ensemble du territoire de la République ; la nouvelle discipline ainsi créée emploiera 8600 professeurs à terme, pour assurer l’enracinement culturel des jeunes Camerounais. Le ministère de l’Éducation de Base introduit sous peu l’enseignement des langues nationales dans toutes les écoles primaires du Cameroun. Les études de faisabilité de cette entreprise ayant toutes été menées. Les utilisateurs de la grammaire du basaa en langue basaa se recrutent dans les Facultés des Lettres, Départements de Langues et Cultures camerounaises (DLCC), dans les Écoles normales supérieures (ENS), dans les Écoles normales d’Instituteurs de l’Enseignement Général (ENIEG), dans les lycées et pourquoi pas dans les écoles primaires ? Les contenus de la grammaire actuelle seront répartis dans plusieurs livres de grammaire du primaire, du secondaire et de l’enseignement supérieur, chacun avec un contenu spécifique, correspondant au niveau d’étude.

MUNTU : Quelles sont les particularités d’une grammaire en langue africaine et celle d’une grammaire en français classique ?

BITJAA KODY : Chaque grammaire est spécifique à une langue particulière. Le propre d’une langue est d’organiser les mots dans la phrase d’une manière différente de toutes les autres langues du monde. La grammaire explicite les règles qu’utilise la langue pour organiser les sons en syllabes, les syllabes en mots, les mots en syntagmes, les syntagmes en phrases, les phrases en discours, et ainsi de suite. Aussi, je répondrai que la grammaire du français n’a aucun rapport avec la grammaire du basaa, chacune d’elle étant spécifique et décrivant les règles de fonctionnement d’une langue particulière. Les catégories de mots et catégories grammaticales sont certes universelles et toutes les langues les possèdent. Ainsi, le nom, le pronom, l’adjectif, le verbe, l’adverbe, le singulier, le pluriel, les temps de conjugaison, etc. se retrouvent dans toutes les langues humaines ; mais chaque langue les organise à sa manière, ce qui la particularise, vis-à-vis de toutes les autres. Au niveau actuel des connaissances dans le domaine, il existe une cinquantaine de types de grammaires dont les plus usités sont des grammaires normatives, traditionnelles, descriptives, structurales, génératives, transformationnelles, notionnelles, pédagogiques, comparatives, fonctionnelles, diachroniques, etc. Chacun de ces types se distingue par ses contenus et le traitement des catégories grammaticales universelles. Chaque langue humaine peut avoir tous les types de grammaire rédigés dans la langue elle-même et non dans une autre langue.

MUNTU : En tant que Directeur de la recherche du CICIBA, que conseillez-vous aux linguistes africains tentés par le même exercice dans leurs aires linguistiques respectives ?

BITJAA KODY : Le contexte crée le besoin. Avant toute chose, il faut œuvrer pour la naissance d’un contexte propice à l’éclosion des grammaires en langues endogènes dans tous les pays africains. Certaines nations comme la Tanzanie qui vient d’adopter le swahili comme seule langue de transmission des connaissances dans l’enseignement primaire, viennent de créer un environnement propice à l’utilisation d’une langue africaine dans l’enseignement. Il faut commencer par l’adoption de politiques linguistiques favorables à l’utilisation des langues africaines comme langues des enseignements ou comme langues enseignées à l’école à l’effet de créer le besoin de la rédaction de grammaires en langues africaines, autrement l’entreprise serait sans issue, l’issue ici étant l’utilisation effective de cet outil dans les salles de classe.

L’écrivain kényan James NGUGI devenu NGUGI WA THIONGO depuis sa publication de « Décoloniser l’esprit », a pris une bonne distance dans la rédaction en langues africaines avec une bonne dizaine d’œuvres publiées en langue kikuyu. Les Occidentaux se bousculent pour traduire chacun de ses romans en anglais, en français, en portugais, en espagnol. La voie tracée par NGUGI WA THIONGO est à suivre pour l’émancipation culturelle du continent. Mon rêve est de voir la grammaire du basaa traduite dans les langues occidentales.

Pour ceux des linguistes et autres scientifiques africains qui s’expriment convenablement dans une langue africaine, l’écriture dans ces langues est facile, plus facile d’ailleurs que dans une langue d’emprunt. Il suffit de contextualiser la terminologie scientifique dans la langue africaine et de commencer par écrire quelques phrases, quelques lignes, quelques pages et les notions scientifiques maitriséesen langues occidentales couleront de source en langue africaine, sans effort.

3 thoughts on “Une première au CICIBA

  1. MBOY Joseph

    Kèè ni bisu a let nkèni !

  2. Bissée bi Nounga

    Di yéga a manké maled ñtoñ ni ñtoñ

  3. Wàng

    Comment se procurer ce livre ?

    Lɛlaa mɛ nlama sɔmbɔl ini kaat ?

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